Copi et la fiction du néant

Copi et la fiction du néant

Le 29 Jan 2007
Eva Peron, Arias
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Eva Peron, Arias
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 92 ) Le corps travesti
92
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COMME Jean Genet, avec qui il avait en com­mun sa fas­ci­na­tion pour la pègre et son lan­gage, Copi avait établi une clas­si­fi­ca­tion très sub­tile des iden­tités sex­uelles, avec une gra­da­tion très fan­tai­siste de la féminité et de la viril­ité : plus les signes de mas­culin­ité étaient revendiqués et assumés, plus ils deve­naient sus­pects, si bien que toute l’échelle sex­uelle se ren­ver­sait et qu’il deve­nait tout à fait impos­si­ble de s’y recon­naître. Qui était féminin, qui était mas­culin, qui était efféminé, qui était vrai, qui était faux, qui désir­ait quoi ? L’objet du désir était-il un indice per­me­t­tant de com­pren­dre la « réal­ité » de la sex­u­al­ité d’un indi­vidu ? Les signes soci­aux de représen­ta­tion sex­uelle ou iden­ti­taire étaient-ils en rap­port avec les stim­u­la­tions du désir ?

Pas plus que Genet (dont, sig­nalons-le, il avait joué en ital­ien LES BONNES, dans le rôle de Madame sous la direc­tion de Mario Mis­siroli, avec pour parte­naire Adri­ana Asti), Copi n’était un soci­o­logue de la sex­u­al­ité et de l’identité, mais c’étaient là des sujets qui le pas­sion­naient, qu’il tour­nait en déri­sion, sur lesquels il s’exprimait longue­ment, sur tous les tons, dans ses romans, dans ses ban­des dess­inées, dans son théâtre et dans ses entre­tiens. Son prin­ci­pal instru­ment, pour com­mu­ni­quer ses opin­ions très fan­tasques là-dessus, était lui-même. Il se traitait lui-même comme une mar­i­on­nette à trav­e­s­tir.

Ses romans « auto­bi­ographiques » abon­dent en con­fi­dences scabreuses et abra­cadabrantes, mais avec des pas­sages réal­istes qui éveil­lent un doute chez le lecteur. Son théâtre, aux dia­logues lyriques (il écrivait par­fois en vers, inspirés de la poésie « gauch­esque » comme par exem­ple celle du FAUSTO CRIOLLO d’Estanislao Del Cam­po, elle-même experte en déri­sion) et crus, fai­sait volon­tiers appa­raître des trav­es­tis : la Rauli­to dans CACHAFAZ est un arché­type inou­bli­able et le cou­ple Mimi et Fifi, dans LES ESCALIERS DU SACRE‑C UR, est le dou­ble porte-parole de toute une série d’idées reçues sur l’organisation de la pros­ti­tu­tion dans le folk­lore de Mont­martre, un folk­lore finale­ment presque inchangé depuis Fran­cis Car­co.

Dans un entre­tien paru dans Libéra­tion (entre­tien avec Alber­to Cardin, le 10 – 11 juin 1978), Copi dis­ait des Argentins : « Moi, je dirais qu’ils sont tous, tous, des folles… y com­pris les gigo­los, bien sûr. Ils n’arrêtent pas de faire les folles… Regarde Car­los Gardel, par exem­ple. Des tapettes, des tapettes mélan­col­iques. Ça, ça serait la par­tie la plus pleur­nicharde du tan­go, mais il y a aus­si l’autre aspect : le guapo, le beau gosse, le com­pra­di­to, le petit mac… Eux aus­si. Mais les mil­i­taires aus­si sont des folles, c’en est même incroy­able, les plus folles de tous. » Suit une descrip­tion du mariage des mil­i­taires et de leurs séances de tor­ture, comme expres­sion typ­ique de la folle sadique. Bien enten­du, il faut pren­dre avec pré­cau­tion ce genre de délire politi­co­sex­uel (alors que Copi a été extra­or­di­naire­ment engagé con­tre la dic­tature mil­i­taire et a été un des pre­miers à en pâtir), qui man­i­feste plus un humour d’intellectuel qu’une appar­ente irre­spon­s­abil­ité. L’humour intel­lectuel argentin passe inévitable­ment par la déri­sion, ce qui ne sig­ni­fie pas l’indifférence ou le je‑m’en-foutisme (le « qualun­quis­mo » ital­ien).

C’est ce même humour qui fera écrire à Copi son chef‑d’œuvre, UNE VISITE INOPPORTUNE, prob­a­ble­ment l’un des plus grands textes jamais écrits sur le sida par un malade du sida. Pièce tra­ver­sée par un rire déli­cieux, qui n’a rien de mor­bide, rien d’amer. Une énorme joie dans le désas­tre du monde.

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René De Ceccaty
René de Ceccatty a publié de nombreux romans parmi lesquels AIMER (Éditions Gallimard), UNE FIN...Plus d'info
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