Une audacieuse candeur À propos de « Road » de Jim Cartwright

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Une audacieuse candeur À propos de « Road » de Jim Cartwright

Le 1 Juil 1999
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EN DÉCOUVRANT ROAD de Jim Cartwright, il y a sept ans, j’é­tais loin d’imag­in­er la pro­fonde richesse de cet univers. La qual­ité de son human­isme, la grande diver­sité de sa langue, la force théâ­trale des sit­u­a­tions, le foi­son­nement de per­son­nages, la lib­erté con­stante de ton, l’hu­mour féroce et une can­deur auda­cieuse font de ROAD une pièce pas­sion­nante et boulever­sante.

Notre guide d’un soir se prénomme Scullery1. Il nous accueille dans le noir utérin, craque une allumette qui — comme pour la petite marchande d’An­der­sen — enclenche un mirage. Il est le deus ex machi­na de cette nuit, le maître des machines d’une soirée stupé­fi­ante. En magi­cien déglin­gué, en Pros­pero du pau­vre, il met en marche la machine à rêver, la machine à jouer. Le rhum aidant, il se lais­sera débor­der à par­tir de l’en­tracte et fini­ra la nuit — tel le vieux servi­teur de LA CERISAIE- épuisé, aban­don­né, lové au cœur d’une fos­se béante lais­sant fil­tr­er la lumière dif­fuse du jour, s’en­dor­mant comme un bébé dans le cocon mater­nel, au son d’une berceuse de boîte à musique, seul ves­tige d’une vie qui se passe comme dans un rêve.

La con­cep­tion de la pièce est très ciné­matographique (une soix­an­taine de scènes, une trentaine de rôles). Scullery nous fait décou­vrir des per­son­nages qui doivent appren­dre à sur­mon­ter leurs peurs, leurs angoiss­es matérielles ou exis­ten­tielles pour éviter la noy­ade, et se sor­tir de la tem­pête. Ils trompent leur ennui et leurs effrois dans l’al­cool ou le sexe. Cartwright abor­de de front une sex­u­al­ité com­pul­sive, sans fausse pudeur, avec sim­plic­ité et cru­dité. Il décrit un besoin effréné de con­tact physique, une démarche névro­tique sou­vent entachée d’un sen­ti­ment irré­para­ble de honte enfan­tine, de souil­lure.

ROAD pour­rait sem­bler n’être qu’une pièce dépres­sive, un énième cru­el por­trait de société. Elle est d’ailleurs sou­vent perçue en Angleterre comme l’é­tat des lieux d’un pays meur­tri. Elle nous donne pour­tant une éton­nante leçon de vie. Elle traite la mis­ère du monde comme un sac que l’on envoie valdinguer. Son univers bigar­ré, sa poésie pop­u­laire et noc­turne con­tribuent à faire de cette nuit, un Songe mod­erne où le spec­ta­teur est mis dans la posi­tion d’un promeneur soli­taire qui prend le temps d’être à l’é­coute de la ville.

Le pub­lic doit se laiss­er emporter par la magie des appari­tions et des dis­pari­tions, par le tour­bil­lon des nom­breux per­son­nages, par le mélange des gen­res. Une rêver­ie, certes tra­ver­sée d’an­goiss­es cauchemardesques et de bru­tal­ité con­vul­sive, mais une rêver­ie han­tée par la mélan­col­ie des berceuses enfan­tines, la nos­tal­gie des vieux tubes de der­rière les fagots. Les comptines du vieil Oncle Dis­ney (« Quand on prie la bonne étoile ») sont récupérées avec déri­sion, et détournées à la manière des songs d’un opéra de quac’­soupirs. Scullery valse et pousse sa goualante à la fée bleue, sous la voûte céleste, hurle à la lune, une bouteille de rhum à la main. Héros d’une odyssée éthylique, il crie sa soli­tude comme dans les tableaux de Fran­cis Bacon.

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Olivier Forgues
Olivier Forgues est comédien et metteur en scène. En septembre 1998, il monte ROAD de...Plus d'info
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