Créer et travailler pour les générations futures

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Créer et travailler pour les générations futures

Entretien avec Vitshois Mwilambwe Bondo

Le 1 Juil 2014

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Couverture du 121-122-123 - Créer à Kinshasa
121 – 122-123

Bernard Debroux : Peux-tu me racon­ter ton par­cours artis­tique ? Com­ment est né ta voca­tion et quelle for­ma­tion as-tu suiv­ie ?

Vit­shois Mwil­amb­we Bon­do : Dès l’âge de sept, huit ans j’étais attiré par l’art, la sculp­ture et le dessin. Je fai­sais beau­coup de dessin à l’époque. Mes pro­fesseurs m’encourageaient dans cette voie. Je fai­sais aus­si du mod­e­lage, des sculp­tures avec l’argile, de la céramique. J’avais un frère qui étu­di­ait les human­ités artis­tiques qui se dédi­ait à l’Académie des Beaux-Arts. Je lui dérobais les dessins qu’il fai­sait à l’école, je m’en inspi­rais. Quand il a décou­vert cela il ne s’est pas fâché, il était très éton­né, il trou­vait qu’il y avait quelque chose d’intéressant. Il m’a encour­agé, épaulé. Moi je ne fai­sais que dessin­er, dès que j’avais du temps, pen­dant les récréa­tions à l’école, tout le temps. C’était moi qu’on appelait quand il fal­lait dessin­er quelque chose au tableau, par exem­ple. À douze ans j’ai demandé à mon père de pou­voir suiv­re l’Institut des Beaux-Arts pour avoir un Bac en arts plas­tiques puis con­tin­uer à l’Académie des Beaux-Arts. Au départ j’avais envie de faire du ciné­ma, mais il n’y a pas d’école de ciné­ma ici à Kin­shasa. Donc j’ai étudié six ans à l’Institut des Beaux-Arts, les arts plas­tiques, la pein­ture, l’histoire de l’Art, l’esthétique, la musi­colo­gie et d’autres dis­ci­plines liées au ciné­ma.

Après cela, je me suis inscrit à l’Académie, et j’ai fait de la pein­ture pen­dant qua­tre ans. À la fin j’ai reçu une bourse, je suis allé étudié à l’École de Stras­bourg. Avant de par­tir j’ai ren­con­tré quelques artistes qui venaient en rési­dence à l’Institut français. À l’époque, le directeur Jean-Michel Cham­pault invi­tait régulière­ment des artistes. C’est en dis­cu­tant avec eux que j’ai décou­vert l’art con­tem­po­rain. Surtout grâce à un artiste camer­ounais, Pas­cal Marthine Tay­ou qui était envoyé à Kin­shasa par Tomas Mute­ba Lun­tum­bue. On a créé un col­lec­tif autour du con­cept du « lib­risme », dans cette lignée de l’art con­tem­po­rain, con­ceptuel, des per­for­mances, des instal­la­tions. C’est là que j’ai appris à faire de l’art autrement, en prenant mes dis­tances par rap­port à mes études qui avaient été très clas­siques. On a tra­vail­lé pen­dant une semaine ; je me suis posé beau­coup de ques­tions, sur ma per­son­nal­ité d’artiste, ma ville, les réal­ités qui m’entourent… Mon tra­vail a évolué aus­si, il a pris une autre forme. Je fai­sais des petites expo­si­tions ici à Kin­shasa et j’ai eu ma pre­mière expo­si­tion hors Con­go, à Cape Town et à Brux­elles. Après le départ de Tay­ou, j’ai mon­té un col­lec­tif avec quelques amis dont Wan­ti­na qui vit main­tenant en France. On a dévelop­pé un tra­vail très dif­férent, avec des instal­la­tions, des per­for­mances, des vidéos. En 2003 je suis allé pour une année académique à Stras­bourg, con­tin­uer mes études. Mais là, à chaque fois que je fai­sais quelque chose on me rap­pelait que j’étais Africain et que je devais donc faire un art « africain ». Moi j’avais déjà l’esprit ouvert, des con­nais­sances sur l’art con­tem­po­rain, je n’étais pas comme cer­tains jeunes Africains qui débar­quent en Europe. Il y a eu des dis­cus­sions, des vrais débats avec
des pro­fesseurs. Je leur par­lais de l’Afrique d’aujourd’hui, pas de celle du siè­cle dernier. L’Afrique d’aujourd’hui est con­fron­tée à la nou­velle tech­nolo­gie, à toutes les nou­velles réal­ités, et je voulais con­fron­ter mon tra­vail à cela. Ensuite j’ai eu envie de suiv­re une for­ma­tion à la Rijk­sakademie à Ams­ter­dam. Mes pro­fesseurs de Stras­bourg ne croy­aient pas que je pou­vais y être sélec­tion­né. Moi je le voulais coûte que coûte. J’ai beau­coup tra­vail­lé, pré­paré mon port­fo­lio, mes pro­jets, etc. J’ai fait des expo­si­tions en France et en Bel­gique et dans d’autres pays d’Afrique, des rési­dences en Afrique du Sud, à Maputo. En 2007 je suis allé à la Rijk­sakademie après le Fes­ti­val Yam­bi, Con­go-Wal­lonie-Brux­elles, organ­isé par la Bel­gique. Là, j’ai ren­con­tré beau­coup d’artistes qui vivaient en Bel­gique et qui venaient de partout dans le monde. Les deux années à la Rijk­sakademie furent très intéres­santes pour moi. J’ai ren­con­tré beau­coup de cura­teurs de musées, comme ceux de New York, Philadel­phie, Los Ange­les, Hong Kong, des artistes, des théoriciens de l’art… Il y a eu de vraies dis­cus­sions et échanges qui m’ont aidé à con­stru­ire mon tra­vail dif­férem­ment et à avoir une vision. Après cela, j’ai trou­vé une galerie à Brux­elles, la Nomade Art Gallery qui a exposé mon tra­vail pen­dant au moins trois ans. Ensuite les portes se sont vrai­ment ouvertes. Un jour­nal­iste cri­tique d’art, Roger Pierre Turine m’a beau­coup aidé aus­si. Tout cela m’a per­mis d’avoir un car­net d’adresses. Après j’ai exposé à New York, j’ai eu un grand prix à la Skope Art Fair en 2012. J’ai été à Bâle, j’ai trou­vé une galerie à Milan et j’ai com­mencé à cir­culer aux qua­tre coins du monde.

B. D. : Com­ment es-tu arrivé à dévelop­per ce tra­vail d’ateliers, de for­ma­tions et surtout d’implantation dans ce cen­tre cul­turel ici à Kin­shasa. Peux-tu nous racon­ter son his­toire ?

V. M. B. : Ça fait presque huit ans que je pen­sais à cela. Surtout en 2005, quand j’étais invité aux Benin pour faire des per­for­mances. En rési­dence d’un mois, j’y ai ren­con­tré cer­tains artistes qui venaient d’autres pays d’Afrique, d’Europe, du Brésil et des Caraïbes. Nous avons tra­vail­lé ensem­ble et j’ai eu envie de faire ce genre de rési­dences aus­si à Kin­shasa. Mais le moment n’était pas encore venu parce que je devais avoir plus d’expérience et bien com­pren­dre com­ment met­tre tout cela en place. En jan­vi­er 2010, après mon séjour à la Rijk­sakademie, je me suis vrai­ment décidé à pren­dre ce pro­jet à bras-le-corps. J’ai pris con­tact avec cer­tains artistes que je trou­vais intéres­sants, cer­tains qui étaient avec moi à la Rijk­sakademie d’Amsterdam, d’autres qui étaient passé par là… J’ai com­mencé par louer un espace et j’y ai invité des artistes de Kin­shasa à venir pass­er des rési­dences de deux à trois mois. Je finançais moi-même par la vente de mes œuvres en Europe. Le pre­mier que j’ai invité a été un artiste alle­mand avec qui je tra­vail­lais depuis 2005.

B. D. : Dans quel espace était-ce ?

V. M. B. : Un lieu juste à côté de celui où on est main­tenant. Il y avait des cham­bres et des ate­liers.

B. D. : Pourquoi le choix de ce quarti­er de Kin­su­ka en par­ti­c­uli­er ?

V. M. B. : D’abord, parce que c’est un quarti­er calme et que ça ne coû­tait pas cher. Puis, parce que toutes les offres cul­turelles sont très cen­tral­isées à Kin­shasa. Je voulais aus­si échang­er avec cette pop­u­la­tion défa­vorisée et con­stru­ire quelque chose de très con­tem­po­rain, en lien avec le quarti­er. Pour que les artistes puis­sent inter­roger et ren­con­tr­er les habi­tants et se ren­dre compte des réal­ités sur place, à Kin­su­ka.

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Bernard Debroux
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Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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