Mettre le chanteur au centre du plateau

Entretien
Opéra
Théâtre

Mettre le chanteur au centre du plateau

Entretien avec Jean-François Sivadier

Le 18 Juil 2012

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Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
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J.-F. S. : C’est un véri­ta­ble inter­locu­teur : je ne cesse de dia­loguer avec lui. Il n’y a jamais de mono­logue à l’opéra, on est tou­jours au moins deux. Le spec­ta­teur peut être témoin de la représen­ta­tion ou acteur de la représen­ta­tion. Il peut avoir un métro d’avance sur les per­son­nages ou il peut être en retard. Je mets con­stam­ment le pub­lic dans un dia­logue car il doit se sen­tir act­if. D’abord parce que la représen­ta­tion ne peut pas exis­ter sans lui ; mais aus­si parce que le regard est au théâtre ce que la lumière est au ciné­ma : ce qui donne de l’énergie au plateau, ce sont les cinq cents ou deux mille per­son­nes qui regar­dent un chanteur sur led­it plateau.

Cela dégage une énergie con­sid­érable ! Et puis j’essaie tou­jours de dédrama­tis­er, de désacralis­er, sans doute de manière un peu naïve, le céré­mo­ni­al lyrique qui voudrait que les opéras soient des tem­ples coupés du monde. J’aime l’idée de mon­tr­er que les gens qui sont sur le plateau font un tra­vail – ce tra­vail les rend certes heureux, mais c’est tout de même un tra­vail. Et ce n’est pas parce que l’on voit des gens tra­vailler sur un plateau que la magie n’opère pas pour autant.

A. P. : Sur vos plateaux, il y a sou­vent des per­son­nage-relais comme les enfants –, je pense notam­ment à votre Car­men qui chan­tait « L’amour est un oiseau rebelle » à un enfant, ce qui per­me­t­tait au spec­ta­teur d’écouter cet air rabâché comme si c’était la pre­mière fois…

J.-F. S. : L’enfant est un relais parce que, sur une scène, il provoque tou­jours une ten­sion : il ne maîtrise ni son équili­bre, ni son jeu, il y a tou­jours le risque qu’il fasse n’importe quoi… Si l’on tra­vaille sur cette fragilité là, le pub­lic se rap­proche immé­di­ate­ment du spec­ta­cle. Et puis j’essaie tou­jours de par­ler à l’état d’enfance qui réside en tout spec­ta­teur. Les ama­teurs d’opéra sont par­fois un peu dif­fi­ciles parce qu’ils arrivent avec une cer­taine méfi­ance envers le met­teur en scène. Mais si l’on essaie de leur par­ler, de s’adresser à la part d’eux-mêmes qui a fait qu’un jour, ils ont com­mencé à aimer la musique (et cette part-là n’est jamais com­plète­ment éteinte), on peut par­venir à les touch­er.

A. P. : Il y a aus­si des per­son­nages muets dans vos mis­es en scènes d’opéra, par­fois joués par des comé­di­ens que vous engagez régulière­ment dans vos spec­ta­cles de théâtre. Pour quelle rai­son inven­tez-vous de tels per­son­nages ?

J.-F. S. : La présence d’un comé­di­en du début à la fin de la représen­ta­tion crée une force, un mys­tère, pré­cisé­ment parce qu’il observe et ne chante pas. J’aime aus­si l’idée que les gens qui chantent sont regardés sur le plateau par ce per­son­nage un peu mys­térieux, qui n’est pas exacte­ment dans le même temps ou le même espace qu’eux. C’est une façon de par­ler du pub­lic : le spec­ta­teur regarde quelqu’un qui regarde le chanteur, les chanteurs sont regardés deux fois et cela crée un espace qui donne de l’air. Exacte­ment comme dans DON GIOVANNI, le regard de Lep­orel­lo per­met à Don Juan d’être pleine­ment lui-même. Au moment de la mort de Sénèque, dans LE COURONNEMENT DE POPPÉE, les fam­i­liers de Sénèque n’arrivent nor­male­ment qu’à la fin de la scène pour chanter leur trio. Aupar­a­vant Sénèque est seul, d’autant qu’il chante : « soli­tude bien-aimée… ». Or dans ma mise en scène, les fam­i­liers sont déjà là quand il chante ces vers. Cela rend la scène plus facile pour le chanteur car il n’a rien d’autre à faire que de chanter – ce qui est déjà con­sid­érable –, ce sont les autres qui créent un rap­port avec lui.

A. P. : Es t‑ce la rai­son pour laque­lle, dans vos spec­ta­cles, les rôles sec­ondaires sont très présents ?

J.-F. S. : Si l’on veut éviter l’anecdote au théâtre ou à l’opéra, on doit utilis­er tout ce que le com­pos­i­teur ou l’auteur met à dis­po­si­tion sur le plateau – il n’y a pas besoin d’inventer autre chose, tant que cela crée du sens. En tant qu’acteur, j’ai envie que chaque chanteur se sente par­tie prenante d’une com­mu­nauté sur un plateau, et qu’il com­prenne que cela enri­chit son par­cours dans le spec­ta­cle. Mon­tever­di est autant dans le rôle sec­ondaire de Lucain que dans celui de Néron. Le duo qu’il a écrit pour ces deux per­son­nages est peut-être la plus belle chose de la par­ti­tion, donc il n’y a aucune rai­son que Lucain ou les gardes du pre­mier acte ne soient pas impor­tants. Et plus que les gardes, ce sont les chanteurs chargés d’incarner les gardes qui comptent. Je pars des per­son­nes, jamais des per­son­nages. Les chanteurs sont heureux qu’on ne leur demande pas d’être autre chose que ce qu’ils sont sur le plateau. Et en même temps cela ne change rien : on voit quand même des per­son­nages sur la scène.

Pro­pos recueil­lis le 23 mars 2012 à Paris.

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