Diane Arbus s’empare des Plateaux Sauvages

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Théâtre

Diane Arbus s’empare des Plateaux Sauvages

Le 30 Sep 2020
Diane Self Portrait©Christophe Raynaud de Lage
Diane Self Portrait©Christophe Raynaud de Lage
Diane Self Portrait©Christophe Raynaud de Lage
Diane Self Portrait©Christophe Raynaud de Lage

Avec Diane Self Por­trait, Paul Desveaux signe le troisième volet de son trip­tyque améri­cain. Une créa­tion sur la pho­tographe new-yorkaise Diane Arbus, écrite par Fab­rice Melquiot.

Diane Self Por­trait1est une his­toire qui com­mence par la fin. Sur le plateau, dans sa baig­noire, Diane Arbus (for­mi­da­ble Anne Azoulay) qui vient de se sui­cider, s’apprête à nous racon­ter sa vie, en com­pag­nie de son mari (Paul Jean­son), de sa mère (impec­ca­ble Cather­ine Fer­ran) et de quelques mod­èles devenus des amis intimes de la pho­tographe. Nous sommes à New-York  en 1971 et la vie de Diane Arbus va se recon­stituer sous nos yeux. Pour­tant, la pièce n’a rien d’un biopic, ni d’un hom­mage. Comme pour ses mis­es en scène sur Jack­son Pol­lock et Janis Joplin, Paul Desvaux s’empare surtout de l’histoire de son per­son­nage prin­ci­pal par les autres pour attrap­er des frag­ments impres­sion­nistes de la vie de la pho­tographe de rue new-yorkaise et faire pénétr­er le spec­ta­teur dans sa cham­bre noire. En cela le texte dont il a passé com­mande à Fab­rice Melquiot le sert mag­nifique­ment : dia­logues famil­i­aux, nar­ra­tion extérieure, énuméra­tions de dates impor­tantes, tant dans la vie de Diane que dans l’Histoire, Des énuméra­tions utiles, mais par­fois un peu longues, heureuse­ment soutenues par la gui­tare de Michaël Fel­ber­baum, qui impro­vise avec ner­vosité sur le plateau. L’écriture de Fab­rice Melquiot n’est pas seule­ment réal­iste. Elle s’inscrit dans dif­férents gen­res, évo­quant, par­fois par exem­ple, bien sûr le con­te dont Fab­rice Melquiot affec­tionne tant les réécri­t­ures con­tem­po­raines2. Ain­si sa Diane Arbus évoque-t-elle une sorte de Belle au Bois Dor­mant qui, jeune-fille, s’éveille oisive d’une vie totale­ment asep­tisée. Quant à Gertrude, la mère de Diane, inquié­tante mal­gré elle, c’est une évo­ca­tion de la marâtre de Blanche-Neige ou de la Cruel­la d’Enfer des 101 Dal­ma­tiens, lorsque la pho­tographe imag­ine sa mère appuyant sur le couteau d’un chas­seur pour l’aider à la dépecer afin d’en faire un man­teau de four­rure…

Diane Self Portrait©Christophe Ray­naud de Lage

En con­tre-point, Paul Desvaux signe une mise en scène élé­gante et sobre (la scéno­gra­phie est épurée, la direc­tion d’acteurs plutôt clas­sique) sans pour autant être muséale. Les pho­togra­phies de Diane Self Por­trait, par­fois pro­jetées sur le plateau,sont en noir et blanc, pris­es en direct par le per­son­nage de Diane qui n’hésite pas à con­vo­quer des spec­ta­teurs sur le plateau pour lui servir de mod­èle, notam­ment lorsqu’elle dit vouloir pho­togra­phi­er « Tout ce qu’il y a de pire : une famille, Maman, Papa et les Kids ». On assiste à une méta­mor­phose, l’ascension d’une pau­vre petite fille riche, princesse juive new-yorkaise de la Cinquième avenue, qui s’élève au fur et à mesure qu’elle descend dans les bas fonds de sa ville.

Car Diane Arbus écorchée vive, pleine de doutes, pho­togra­phie, avec pas­sion et sans aucun juge­ment moral, tout ce que l’Amérique ne veut pas mon­tr­er : la mort bien sûr, les mal­for­ma­tions physiques, la vio­lence, les petites-gens, la pros­ti­tu­tion, les trans­sex­uels, les malades men­taux, etc. En un mot la dif­férence. Dans Diane Self Por­trait cette fas­ci­na­tion pour la dif­férence s’exprime par deux amis de Diane Arbus : Jack Drac­u­la (le per­former et dessi­na­teur au crâne rasé et au corps tatoué Jean-Luc Ver­na, qu’elle pho­togra­phie) et Vicky (la bassiste trans­sex­uelle Marie-Colette New­man) une pros­ti­tuée trans­genre dont Diane fait son assis­tante et sa con­fi­dente. Le pari était risqué et il est gag­né, Paul Desvaux a l’habileté de faire appel à ces deux per­son­nal­ités pour ce qu’elles sont : des artistes qui appor­tent une touche de fan­taisie et de magie, entre David Lynch et Jean Genet, à un spec­ta­cle qui sans eux serait peut-être un brin trop formel. On y apprend beau­coup, sur Diane Arbus bien sûr, mais aus­si sur l’Amérique de l’époque et sur l’évolution de notre rap­port à l’image. Ain­si, par exem­ple, Diane Arbus met­tait-t-elle env­i­ron six heures pour réalis­er une pho­to. Alors que le règne con­tem­po­rain de la mise en scène de soi n’en finit pas, Diane Self Por­trait met en lumière avec finesse un regard qui célébrait les autres.

Diane Self Portrait©Christophe Ray­naud de Lage

A voir aux Plateaux Sauvages / Paris 20e

DIANE SELF PORTRAIT

THÉÂTRE, MUSIQUE ET VIDÉO

21 SEPTEMBRE > 9 OCTOBRE

DISTRIBUTION

Texte Fab­rice Melquiot 
Mise en scène et scéno­gra­phie Paul Desveaux
Col­lab­o­ra­tion artis­tique Céline Bod­is
Musique Vin­cent Artaud et Michael Fel­ber­baum
Créa­tion lumière Lau­rent Schnee­gans
Cos­tumes Vir­ginie Alba assistée de Mor­gane Bal­lif
Pho­togra­phie Christophe Ray­naud de Lage
Régie générale et plateau Clé­ment Math­ieu
Régie son et vidéo Gré­goire Chomel
Régie lumière Philippe Bout­ti­er

Avec Anne Azoulay, Michael Fel­ber­baum (gui­tariste), Cather­ine Fer­ran (socié­taire hon­o­raire de la Comédie-Française), Paul Jean­son, Marie-Colette New­man et Jean-Luc Ver­na 


  1. Le texte de la pièce est édité chez L’Arche. Voir Fab­rice Melquiot, Diane, L’Arche, Paris, 2020. ↩︎
  2. Voir notam­ment La Fab­rique des con­tes (Musée d’ethnographie de Genève) et Alice et autres mer­veilles (L’Arche).  ↩︎
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Photo de Marjorie Bertin, Crédit Anthony Ravera RFI
Marjorie Bertin
Docteur en Études théâtrales, enseignante et chercheuse à la Sorbonne-Nouvelle, Marjorie Bertin est également journaliste à...Plus d'info
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