Des pingouins et des hommes

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Théâtre

Des pingouins et des hommes

Le 11 Oct 2018
Origine ©Hichem Dahes
Origine ©Hichem Dahes

Bien­v­enue dans un futur proche, sur une ban­quise de plas­tique où deux humains, un ours polaire et qua­tre pin­gouins se heur­tent aux lim­ites du lan­gage et à la tyran­nie de la quo­ti­di­en­neté. Pre­mière pièce pour grand plateau du jeune met­teur en scène brux­el­lois Sil­vio Palo­mo, Orig­ine est un objet scénique sin­guli­er, qui dis­tend le temps pour créer une déli­cieuse étrangeté. Un univers que ne renierait pas Philippe Quesne.

Sommes-nous dans un monde postapoc­a­lyp­tique où n’auraient survécu qu’une poignée d’humains et quelques ani­maux polaires ? Sommes-nous sur une planète désor­mais envahie par le frimas et les glaces ? Peu importe. S’il y a bien une évo­ca­tion, en fil­igrane, d’un monde futur­iste dénué de lumière naturelle et de végé­ta­tion, et si l’on peut certes y voir une inquié­tude écologique, nous voilà plutôt dans un espace imag­i­naire, un monde de sur­vivance duquel émerge une cer­taine can­deur. Sur cette terre rede­v­enue qua­si-vierge se dégage un éton­nant monde de pos­si­bles. Un espace épuré et immac­ulé, présen­té comme un monde exci­tant, où un homme (Aurélien Dubreuil-Lachaud) et une femme (Manon Joan­notéguy) se pro­posent de s’installer pour dîn­er. Le temps d’un repas hors de l’ordinaire sur la ban­quise, ils ren­con­treront un ours ingénieux (Léonard Cornevin) et des pin­gouins peu à peu décalot­tés (Antonin Jen­ny, Ophélie Hon­or, Jean-Bap­tiste Polge et Nicole Stankiewicz), avec qui une com­mu­ni­ca­tion déli­cate et éton­nam­ment banale se met en place.

Diplômé de l’INSAS, Sil­vio Palo­mo développe depuis quelques années ce lan­gage scénique tis­sé de dia­logues anodins, de répéti­tions et de tics de lan­gage. Ce qu’il appelle un « un tra­vail sur le bavardage et la ges­tic­u­la­tion », affir­mant « suiv­re les pistes de la gaucherie », se dévoile sur scène comme une stim­u­lante explo­ration des lim­ites du lan­gage. S’inscrivant en par­tie dans le pro­longe­ment des grands auteurs absur­des en décor­ti­quant l’incommunicabilité, tel un Ionesco de l’écriture de plateau, il invente aus­si une forme de non-jeu qui fait de la con­ver­sa­tion ordi­naire et sans arti­fices, à voix basse et à débit hachuré, une matière éminem­ment théâ­trale.

 Comme le fai­sait Philippe Quesne dans L’Effet de Serge, il donne à des événe­ments anodins, voire médiocres, une valeur scénique indé­ni­able, posant sur des micro-sit­u­a­tions un regard appro­fon­di, une loupe grossis­sante. L’ordinaire devient ain­si éminem­ment poé­tique, la répéti­tion des mêmes mots (ah oui d’accord, ah oui c’est très bien) devenant peu à peu une musique aux notes savam­ment har­mon­isées. Mélodie de l’anodin, ou sym­phonie de l’ordinaire : le texte est indé­ni­able­ment matière sonore, dont le sens est à trou­ver dans une écoute atten­tive du rythme du bavardage.

En focal­isant notre atten­tion sur cer­taines répéti­tions mais aus­si sur des silences sig­nifi­ants, le tra­vail de Sil­vio Palo­mo sem­ble égale­ment suiv­re l’influence de Christoph Marthaler, ce grand met­teur en scène suisse-alle­mand passé maître dans l’art de poé­tis­er le banal et de ren­dre le vide et le silence si sin­guliers. Palo­mo cul­tive aus­si, comme Marthaler, un humour décalé qui naît de l’écoute amusée de cette musi­cal­ité par­ti­c­ulière. Il y a ajoute toute­fois des touch­es d’humour visuel qui lui sont plus per­son­nelles, inven­tant un univers peu­plé de mas­cottes d’animaux au look naïf et enfan­tin, qui seront peu à peu par­tielle­ment dévêties, révélant la part d’humanité cachée sous la can­deur de l’animal. Ou la part d’animalité présente en chaque humain ? C’est selon.

Orig­ine. ©Hichem Dah­es

Tra­vail­lant avec son frère plas­ti­cien Itzel Palo­mo, le met­teur en scène pro­pose aus­si une scéno­gra­phie vivante et pleine de sur­pris­es, dont les gron­de­ments et les déplace­ments soudains s’ajoutent à la con­ver­sa­tion. La ban­quise, au gré de ses sur­sauts et de sa com­par­ti­men­ta­tion, offre un for­mi­da­ble espace de jeu, métaphore d’un monde qui unit les hommes autant qu’il les plonge par­fois dans un fos­sé d’incompréhension.

Un tra­vail certes encore peu affranchi de ses mod­èles, mais assuré­ment une nou­velle voix à suiv­re sur la scène brux­el­loise.

Origine, à voir à La Balsamine jusqu'au 13 oct.

Une création de Le comité des fêtes
Conception et mise en scène Silvio Palomo
Scénographie Itzel Palomo
Avec Léonard Cornevin, Aurélien Dubreuil-Lachaud, Ophélie Honoré, Antonin Jenny, Manon Joannotéguy, Jean-Baptiste Polge et Nicole Stankiewiscz
Création lumière Léonard Cornevin
Régie générale Quentin Pechon
Remerciement Gaël Renard
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