Un lieu pour apprivoiser le désordre

Entretien
Théâtre

Un lieu pour apprivoiser le désordre

Entretien avec Francis Metzger réalisé par Bernard Debroux

Le 15 Nov 2012
Théâtre La Balsamine. Photo Marie-Françoise Plissart.
Théâtre La Balsamine. Photo Marie-Françoise Plissart.

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Théâtre La Balsamine. Photo Marie-Françoise Plissart.
Théâtre La Balsamine. Photo Marie-Françoise Plissart.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 115 - Martine Wijckaert - La Balse
115

BERNARD DEBROUX : Com­ment avez-vous été amené à pren­dre en charge la réal­i­sa­tion de cette par­tie de la Caserne Dail­ly qui est dev­enue le Théâtre de la Bal­samine ?

Fran­cis Met­zger : Ce pro­jet est un pro­jet qui date, je ne par­le pas de l’activité d’architecte, mais bien avant ça, dix-quinze ans plus tôt, j’avais des amis dans le domaine du théâtre et je les suiv­ais dans leur par­cours théâ­tral. À de nom­breuses repris­es, je me suis retrou­vé à assis­ter aux spec­ta­cles de la Bal­samine avec un cer­tain plaisir, à aller voir ce qui se fai­sait. Un jour, la com­mune de Schaer­beek a organ­isé un con­cours d’architectes pour repenser le Théâtre de la Bal­samine dans une réap­pro­pri­a­tion des casernes, mais surtout avec une démo­li­tion-recon­struc­tion d’une par­tie des casernes. Ils avaient élaboré un pro­gramme assez défi­ni, assez clair, des ambi­tions, des enjeux, des besoins et il nous apparte­nait de pro­pos­er un pro­jet. Notre méti­er, c’est le pro­jet, c’est d’anticiper une sit­u­a­tion qui sera et donc de faire une nou­velle propo­si­tion pour ce théâtre qui exis­tait, pour un nou­veau lieu. Une dizaine d’architectes a con­cou­ru. Il y a eu une épreuve dessin évidem­ment, et puis une épreuve orale. L’ensemble des archi­tectes se sont suc­cédés toutes les heures pour présen­ter leurs pro­jets. Nous avions dess­iné un pro­jet qui, au niveau de l’esprit, est très sem­blable à ce qui a été con­stru­it, mais était peut-être un peu plus poé­tique et peut-être un peu moins juste au niveau de son fonc­tion­nement.

Mar­tine Wijck­aert avait déjà util­isé cette salle de spec­ta­cle, bien con­nue, une salle de spec­ta­cle en fer à cheval…

B. D.: Qui est un ancien amphithéâtre de l’école mil­i­taire…

Fr. M.: Oui, et nous avions imag­iné un pro­jet où on ren­trait dans l’amphithéâtre, dans cet amphithéâtre qu’on con­nais­sait bien, qui deve­nait en fait le lieu de vie, qui deve­nait un lieu de récep­tion, de ren­con­tre. On pas­sait à tra­vers la scène, à tra­vers le décor et on retrou­vait une autre salle qui était une copie con­forme mais plus grande du pre­mier théâtre et qui là, était per­for­mante, tech­nique. Un peu comme dans ALICE AU PAYS DES MERVEILLES, on passe à tra­vers le décor et on trou­ve ce nou­veau lieu qui est à l’image de l’ancien sans être tout à fait l’ancien. C’est grâce à cette idée, ce con­cept que nous avons gag­né le con­cours. Lors de la pre­mière réu­nion avec Mar­tine Wijck­aert que je ne con­nais­sais pas, que je n’avais jamais ren­con­trée, Mar­tine nous a dit : « Nous avons beau­coup aimé votre pro­jet, l’esprit de votre pro­jet ; mais je ne veux pas qu’on touche à ma salle. Dans ma salle de spec­ta­cle, j’ai tout vécu et je veux qu’elle reste là où elle est. » Nous avons alors repen­sé le pro­jet en gar­dant son esprit ini­tial et en le mod­i­fi­ant un tout petit peu pour devenir ce qu’il est aujourd’hui.

B. D.: Quelles ont été vos sources d’inspiration, les fils con­duc­teurs qui vous ont guidés ? Vous êtes-vous inspirés d’autres travaux ? Aviez-vous déjà réal­isé des salles de spec­ta­cle aupar­a­vant ?

Fr. M.: Je n’avais fait aucune salle de spec­ta­cle, et c’est bien ma chance. Je dis c’est bien ma chance parce qu’aujourd’hui, pour obtenir un pro­jet, il faut avoir fait un pro­jet. Vous voulez faire des piscines, la meilleure solu­tion, c’est d’être spé­cial­iste en piscines. Si vous voulez faire un hôtel, il doit y avoir des hôtels à mon­tr­er. Je trou­ve que c’est une très mau­vaise idée de dire que pour obtenir un pro­jet au niveau des bâti­ments, il faut déjà les avoir faits parce trop sou­vent, on croit que l’on con­naît. Or notre chance, c’était de n’avoir jamais fait de théâtre et d’être à l’écoute du maître d’ouvrage, de l’utilisateur final qui, lui, sait très bien ce dont il a besoin et pourquoi. Pen­dant tout un temps, nous avons fait une espèce d’écolage pour essay­er de savoir ce qu’était un théâtre, ce qu’était la Bal­samine et ce qu’étaient les besoins. Il y a eu tout un tra­vail qu’on a fait ensem­ble. Nous avons été voir des théâtres, par­fois des théâtres qui fonc­tion­naient mal et où les met­teurs en scène se plaig­naient d’avoir tra­vail­lé avec des archi­tectes qui croy­aient savoir ce dont ils avaient besoin et qui sont arrivés avec un très mau­vais pro­duit. Nous sommes allés voir aus­si de l’architecture con­tem­po­raine pour voir quelle était la réac­tion des acteurs de la Bal­samine, Mar­tine Wijck­aert, Michel Van Slype, Chris­t­ian Machiels…

Nous sommes allés nous balad­er en Hol­lande par exem­ple, voir des uni­ver­sités très con­tem­po­raines réal­isées avec des matières très inso­lites, de l’acier, du bois, des plas­tiques, des matières inhab­ituelles pour le com­mun des mor­tels. J’étais curieux de voir com­ment ils réagis­saient face à cette espèce de nou­veauté. Nous avons pu ain­si cern­er d’avantage ce qui était dans leurs envies, dans leurs préoc­cu­pa­tions, dans leurs ambi­tions, ce qu’on pou­vait utilis­er de tout ça. Nous avons donc con­stru­it le cos­tume réelle­ment sur mesure, à par­tir de tout ce tra­vail pré­para­toire qui était long. Autant l’esquisse a été très rapi­de, autant au niveau des matières et des tex­tures ce fut beau­coup plus long. Le débat s’est cristallisé autour du « décor ». On voulait surtout un théâtre où le décor était sur scène. Le pro­pre d’un théâtre, c’est effec­tive­ment l’artifice et l’artifice est sur scène, il n’est pas dans les murs. On voulait quelque chose de rel­a­tive­ment sim­ple, effi­cace, une belle machine, mais qui soit agréable, qui soit con­viviale, mais où il n’y a pas de faux pla­fond, pas de ten­tures grandil­o­quentes, où il y a des choses basiques, évi­dentes. Et donc le gros du tra­vail a été de tra­vailler sur l’identité, de trou­ver à ce théâtre une nou­velle iden­tité. Ils avaient trou­vé une iden­tité théâ­trale, sur scène, il se pas­sait des choses qui font que les gens con­nais­sent ce théâtre et lui recon­nais­sent une iden­tité, notam­ment son côté nova­teur. Ce qu’il fal­lait trou­ver, c’était une iden­tité formelle. On se trou­ve dans un quarti­er qui va renaître ; une par­tie des casernes ont déjà été démolies, il reste ce bout de caserne qu’on va utilis­er. Com­ment va-t-on écrire ? Un peu comme quand on écrit un roman, on a un style. On peut écrire de l’architecture de la même façon qu’on écrit un roman, c’est-à-dire qu’on va tra­vailler avec de la matière plutôt qu’avec de l’encre. Mais on lit aus­si bien une ville : si vous vis­itez une ville ou une rue, vous arrivez à avoir une lec­ture très évi­dente de la façon dont la ville va vivre, sim­ple­ment en voy­ant com­ment les maisons sont jux­ta­posées. Ici, à Brux­elles, ce sont des maisons vieilles, on sent tout de suite le côté indépen­dant, bour­geois. Ou à Paris, les immeubles col­lec­tifs avec les pau­vres tout au-dessus et les rich­es un peu plus bas. On arrive donc à très vite lire au tra­vers de la matière, au tra­vers de l’exercice du con­stru­it. Il nous apparte­nait de trou­ver une iden­tité : ce n’est pas du loge­ment, un théâtre c’est comme un ciné­ma, c’est un bâti­ment pub­lic, donc c’est un repère urbain, et un théâtre, c’est un repère impor­tant. Il fal­lait donc que ce théâtre joue son rôle de repère urbain d’une part, d’autre part, que l’on se dise que ce qui se passe là, c’est con­tem­po­rain. Il s’agit donc d’une écri­t­ure d’aujourd’hui avec des matières d’aujourd’hui, sans décor, et qui dise qu’à cet endroit-là, il se passe quelque chose d’exceptionnel. Et ce qui est excep­tion­nel là, c’est le théâtre.

B. D.: Et pour­tant, vous avez eu l’occasion de dire que les habi­tants au départ n’ont pas tout de suite eu la per­cep­tion de ce que c’était…

Fr. M.: Oui, évidem­ment, quand on n’est pas féru d’architecture et d’architecture con­tem­po­raine qui plus est, cet objet a fait l’objet d’un ovni dans un quarti­er délabré, un quarti­er en con­struc­tion. Le jour de l’inauguration, il y avait les dis­cours con­venus des dif­férents min­istres, le dis­cours de l’architecte qui explique un peu ce qu’il avait ten­té de faire. Et puis il y avait la Bal­samine qui avait prévu une sorte de petite inter­ven­tion urbaine. Ils avaient filmé les habi­tants du coin en les inter­ro­geant sur ce qu’était ce nou­v­el élé­ment-là, con­stru­it dans le quarti­er. On a eu alors les réflex­ions les plus drôles du style : « ça, mon­sieur, ça doit être un sauna ». « Une grande caisse en bois comme ça, ce doit être un un cageot à légumes ». Per­son­ne n’était indif­férent à ce lieu, tout le monde l’avait vu. C’est impor­tant pour un bâti­ment pub­lic ! Cela veut dire qu’il a une iden­tité, qu’il existe, qu’il est vis­i­ble. Ensuite, les gens doivent faire la démarche d’aller voir ce qui se passe dedans. Il faut sus­citer aus­si la curiosité.

Quand on y ren­tre, on ne ren­tre pas directe­ment. Je ne voulais pas une porte comme une porte de bistrot qu’il suf­fit de pousse pour entr­er. Nous avons imag­iné cette grande porte, dess­inée par un de mes col­lab­o­ra­teurs qui est artiste-pein­tre au départ, Daniel Del­tour. Ce que je voulais c’est que ce soit une porte mobile qui fasse la sépa­ra­tion entre la par­tie neuve et la par­tie anci­enne et ensuite qu’on passe à tra­vers une petite cour. Il y a un tra­vail sur la pro­fondeur de champ, comme on peut le faire au ciné­ma avec un avant-plan, un arrière plan. Ces quelques instants, c’est le moment où on passe d’un univers à un autre…

B. D.: Pour se retrou­ver dans le foy­er du théâtre…

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Bernard Debroux
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Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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