Nourrir le travail en gravité

Entretien
Théâtre

Nourrir le travail en gravité

Entretien avec Jean-Pierre Vincent

Le 27 Jan 2012
Peines d’amour perdues de William Shakespeare. Texte français de Jean-Michel Deprats, mise en scène Jean-Pierre Vincent, décor et costumes Elizabeth Neumuller, scénographie Nicky Rieti. Photo Sabine Strosser.
Peines d’amour perdues de William Shakespeare. Texte français de Jean-Michel Deprats, mise en scène Jean-Pierre Vincent, décor et costumes Elizabeth Neumuller, scénographie Nicky Rieti. Photo Sabine Strosser.

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Peines d’amour perdues de William Shakespeare. Texte français de Jean-Michel Deprats, mise en scène Jean-Pierre Vincent, décor et costumes Elizabeth Neumuller, scénographie Nicky Rieti. Photo Sabine Strosser.
Peines d’amour perdues de William Shakespeare. Texte français de Jean-Michel Deprats, mise en scène Jean-Pierre Vincent, décor et costumes Elizabeth Neumuller, scénographie Nicky Rieti. Photo Sabine Strosser.

Yannic Man­cel : Quel état des lieux avez-vous con­staté à Stras­bourg en 1974, lorsque vous avez hérité de la direc­tion du TNS et de son École, si forte­ment mar­qués par la griffe de ses deux grands précé­dents directeurs, Michel Saint-Denis – le fon­da­teur – et Hubert Gig­noux, son suc­cesseur ? Et com­ment avez-vous le sen­ti­ment rétro­spec­tive­ment d’avoir fait évoluer les choses ? 

Jean-Pierre Vin­cent : Nous con­nais­sions de loin l’activité de ce théâtre et de cette école. Patrice Chéreau avec qui j’avais débuté au lycée Louis Le Grand con­nais­sait assez bien Hubert Gig­noux et avait engagé dans sa com­pag­nie d’anciens élèves de l’école. Je sor­tais quant à moi d’une aven­ture de com­pag­nie avec Jean Jour­d­heuil et le Théâtre de l’Espérance. Totale­ment ama­teurs, nous étions issus d’une sorte d’autoformation sauvage et spon­tanée : nous détes­tions tout ce qui était français et plus par­ti­c­ulière­ment l’académisme fran­chouil­lard du Con­ser­va­toire de Paris. Nous lisions des livres, tout ce qui pou­vait être traduit de Mey­er­hold, par exem­ple. On allait voir les spec­ta­cles du Berlin­er Ensem­ble et ceux du Pic­co­lo Teatro de Milan. Et nous avions ce phare loin­tain qu’était l’École de la Comédie de l’Est, avec son mythe et son auréole. Or il se trou­ve que j’ai été nom­mé là très jeune, dans une con­jonc­ture où le mythe de l’école était encore très act­if alors que l’activité du théâtre lui-même, deux ans après le départ d’Hubert Gig­noux, était, elle, en régres­sion. Tout aurait pu alors se déliter, mais il m’a sem­blé que le meilleur moyen de relancer et d’actualiser la péd­a­gogie tra­di­tion­nelle du TNS était de la vio­len­ter un peu, dans le respect des acquis. Nous éprou­vions un grand respect éthique et esthé­tique pour ce qu’avait accom­pli la généra­tion précé­dente, celle des Gig­noux et des Dasté, mais nous igno­ri­ons tout des fonde­ments de leur art et de leur péd­a­gogie : Stanislavs­ki, Copeau, Dullin, Jou­vet… Nous avions donc l’ambition de ranimer tout cela avec notre cul­ture à nous, celle de la troupe, assez bigar­rée. J’avais pour ma part une cul­ture assez philosophique­ment théâ­trale alors que des gens comme André Engel, Dominique Muller, Michel Deutsch et les comé­di­ens avaient tous des cen­tres d’intérêt et des itinéraires de for­ma­tion très var­iés. Tout ce melt­ing-pot con­sti­tué du col­lec­tif dra­maturgique et de la troupe ain­si rassem­blés s’est ain­si mêlé à l’école. Notre démarche était totale­ment empirique, sans aucune ambi­tion théorique : notre généra­tion se méfi­ait farouche­ment des mots en «-isme ». Nous ne nous sommes appuyés pour inve­stir cette école que sur les quelques mots d’ordre artis­tiques qu’à l’époque nous nous étions don­nés, en replaçant au cen­tre la ques­tion du « pourquoi » – pourquoi on fait du théâtre – sans trop se préoc­cu­per du « com­ment ».

Y. M.: Com­ment l’école à son tour – ses élèves d’alors puis très vite ses anciens élèves – a‑t-elle influé sur la vie du théâtre ? 

J.-P. V.: C’est un foy­er dont la vivac­ité per­dure par-delà les années. Je viens de tra­vailler avec des élèves d’aujourd’hui et je l’ai une fois de plus véri­fié. C’est une école qui se respecte et qui respecte son his­toire. Même après la réno­va­tion archi­tec­turale et la redis­tri­b­u­tion des espaces, quelque chose de l’histoire du lieu, cer­tains fan­tômes, con­tin­u­ent de traîn­er dans les couloirs. Il est curieux de remar­quer que l’ordonnancement des cours et des pra­tiques – les dis­ci­plines du matin dans leur diver­sité, les ate­liers de l’après-midi et du soir avec objec­tif de présen­ta­tion finale – soit resté le même depuis sa fon­da­tion, et qu’il ait même essaimé dans d’autres écoles plus récem­ment créées sur l’ensemble du ter­ri­toire français.
Ce qui a le plus pro­gressé, me sem­ble-t-il, depuis les années 70, c’est l’importance crois­sante accordée à la pluridis­ci­pli­nar­ité et aux autres arts : la scéno­gra­phie, la lumière, le son, et la régie en tant qu’art… Aujourd’hui, chaque pro­mo­tion – chaque « groupe » – ressem­ble plus à une com­pag­nie au com­plet, qu’à une école de comé­di­ens avec des plas­ti­ciens et des tech­ni­ciens à côté. C’est cette pluridis­ci­pli­nar­ité qui m’attire le plus aujourd’hui au TNS ou à l’ENSATT (L’École Nationale Supérieure des Arts et Tech­niques du Théâtre à Lyon). Je con­state par exem­ple qu’en ter­mes de cul­ture générale et de con­science poli­tique, les élèves-scéno­graphes ou tech­ni­ciens sont sou­vent plus mûrs que les élèves acteurs dont la voca­tion pré­maturée, à l’adolescence, est sou­vent plus légère.

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Yannic Mancel
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