La voix du fond du père

Théâtre
Critique

La voix du fond du père

Le 6 Avr 2010

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Couverture du numéro 104 - Désir de théâtre. Désir au théâtre
104

COUVRANT LA SCÈNE, un grand rec­tan­gle de tis­su blanc… Comme une toile vierge avant que l’artiste n’y applique sa pein­ture, comme le célèbre et provo­cant CARRÉ BLANC SUR FOND BLANC du pein­tre russe Male­vitch (1918).
Un espace vide que les acteurs vont bien­tôt occu­per et habiter par leur seule présence.

À l’extérieur de la scène, côté jardin, trois acteurs, assis, regar­dent les spec­ta­teurs entr­er et s’installer sur les gradins.
Tout est en place pour que s’écrive le spec­ta­cle.
Au com­mence­ment, un gros livre de trois cents pages, LES LANGUES PATERNELLES, roman à car­ac­tère auto­bi­ographique de David Serge1, dou­ble romanci­er du jour­nal­iste Daniel Schnei­der­mann. Antoine Laubin et Thomas Depryck l’ont adap­té et con­cen­tré en une quar­an­taine de pages.
On peut faire théâtre de tout affir­mait Antoine Vitez qui fut un des pre­miers à porter un roman au théâtre2. Depuis, les expéri­ences se sont mul­ti­pliées. Ici, pour LES LANGUES PATERNELLES, l’enjeu était de faire théâtre de ce roman auto­bi­ographique écrit à la pre­mière per­son­ne, mais où se croisent d’autres per­son­nages, essen­tielle­ment mas­culins, le père et le frère du nar­ra­teur, son beau-père, ses enfants, mais aus­si sa mère et la mère de ses enfants.
Pas de qua­trième mur. Les acteurs quit­tent leurs chais­es, gag­nent le plateau, s’avancent lente­ment sur le devant de la scène, regar­dent les spec­ta­teurs dans les yeux avant de pren­dre la parole. Et ils vont nous les don­ner à enten­dre, ces quar­ante pages, les jouer dans une poly­phonie ver­tig­ineuse et flu­ide, nous entraîn­er dans un tour­bil­lon de mots, nous pren­dre à témoin d’un étrange règle­ment de compte, celui du nar­ra­teur avec un père dont on perçoit d’emblée qu’il vient de quit­ter ce monde, – …Tu es mort de toi-même. Je ne t’ai mêmepas tué… – et nous con­vi­er à une sorte de psy­ch­analyse en « acte », lit­téraire et théâ­trale.

Antoine Laubin con­naît bien l’écriture de Jean-Marie Piemme3. Sans doute cette prox­im­ité l’a‑t-il porté à s’interroger sur l’identité du per­son­nage de théâtre et à inven­ter ici, avec la col­lab­o­ra­tion de Thomas Depryck, une dra­maturgie éton­nante où non seule­ment plusieurs per­son­nages sont inter­prétés par un seul acteur mais où en même temps, en une réplique, le même per­son­nage peut gliss­er d’un inter­prète à un autre. Le roman lui-même invi­tait à cette poly­phonie. Bien qu’écrit à la pre­mière per­son­ne, il com­por­tait déjà un flou sur l’identité du « je », le nar­ra­teur, étant sans cesse envahi par le dis­cours de son père et de son fils. Ce trou­ble iden­ti­taire sur trois généra­tions qui se cat­a­pul­tent était un défi théâ­tral pas­sion­nant à expéri­menter. Une adap­ta­tion pré­cise, des répliques sou­vent cour­tes, per­cu­tantes, fruit de longues péri­odes de tra­vail et de ges­ta­tion ont per­mis d’éviter l’écueil de la con­fu­sion qui pou­vait guet­ter l’entreprise.

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Bernard Debroux
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Fondateur et membre du comité de rédaction d'Alternatives théâtrales (directeur de publication de 1979 à...Plus d'info
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